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Prairies entrelacées: 2Reculez – Il n’y a rien à voir – Circulez

Prairies entrelacées
2Reculez – Il n’y a rien à voir – Circulez
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table of contents
  1. Front matter
    1. Half Title Page
    2. Art in Profile series
    3. Title Page
    4. Copyright Page
    5. Contents
    6. Message de la Ministre
    7. Remerciements
    8. Itinéraire de l’exposition
    9. 1 Introduction à Prairies entrelacées : Retrouver les « modernismes perdus »
  2. Section 1 : Recouvrer les histoires
    1. 2. Reculez – Il n’y a rien à voir – Circulez
    2. 3. Modernistes marginalisés : Coopératives et arts textiles autochtones en Saskatchewan, 1960-1972
    3. 4. Histoires métisses et travail artistique des femmes dans Margaret’s Rug de Margaret Pelletier Harrison
    4. 5. Le don du temps, le don de la liberté : Le tissage et les arts textiles au Banff Centre
    5. 6. Espaces vivants et habitables : Les textiles et l’architecture des Prairies
  3. Section 2 : Rencontres contextuelles
    1. 7. Exposition Prairies entrelacées : Rencontres, désirs et défis
    2. 8. Le tissage à l’horizon : Rencontres avec l’art textile dans les Prairies canadiennes
    3. 9. Les corps contextuels : Du berceau à la barricade
    4. 10. Six façons de découvrir Prairies entrelacées
  4. Section 3 : Élargir le cadre
    1. 11. Élargir le cadre du tissage
  5. Listes des œuvres
  6. Contributeurs

Dark brown and tan hanging with a fringe bottom and bursts of orange. It is mostly horizontal lines with a notable large circle in the upper left.

Hazel Schwass, Untitled, 1974 (cat. 51)

2Reculez – Il n’y a rien à voir – Circulez

par Jennifer E. Salahub

Et vous n’avez pas apporté votre rouet ou votre métier à tisser, Mme Mooney? C’est dommage, car dans quarante ans, ou même avant, ce serait des objets de collection. On vous demanderait de prêter ces trésors pour des expositions d’art, et beaucoup de jeunes femmes seraient intéressées à savoir comment vous produisiez du tissu et comment vous établissiez vos patrons de tissage.

Nellie McClung, 19361

On a souvent décrit l’Ouest du Canada, c’est-à-dire la région située entre le Lac Ontario et les Rocheuses canadiennes, comme un vide culturel, et un auteur dans Canadian Art, revue qui devrait être mieux informée, déclarait encore il y a quelques mois que « de l’Ontario à la Colombie-Britannique, il existe une sorte de terrain vague artistique ».

A. F. Keys, 19612

Notre culture contemporaine fait partiellement preuve d’une sorte d’amnésie. Par exemple, le macramé est loin d’avoir été inventé dans les communautés hippies des années soixante… Nier, ou pire encore, oublier les racines traditionnelles des arts des tissus et des étoffes est quelque chose qui nous appauvrit tous.

John Vollmer, 19983

Alors, quels trésors des arts textiles avons-nous perdus en chemin?

L’intention des commissaires de l’exposition Prairies entrelacées : Tissage, modernismes et cadre élargi était de retrouver et de cataloguer des modernismes perdus : pour cela, ils ont réuni (pour la toute première fois) une imposante collection d’œuvres textiles modernes et postmodernes créées au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta entre les années 1960 et 2000. Dans cet essai, nous examinerons les répercussions de la modernité et le succès critique des arts textiles sur la toile narrative de ce mouvement dans les Prairies, en particulier l’histoire de la période moderne (avant 1960). Nous mettrons l’accent sur l’héritage qu’a laissé cette période – plutôt que sur ses sources – car le mouvement des arts textiles est né de l’art moderne et il joue un rôle actif dans la toile narrative du modernisme au sens large. Lorsqu’on examine la critique universitaire – cette reconnaissance critique étant une condition très convoitée de l’art moderne et postmoderne –, on se rend compte que le mouvement des arts textiles né autour de 1960 ne doit rien au passé et que, comme Athéna naissant de la tête de Zeus, il apparaît entièrement formé dès le début. Les historiens de l’art de la fin du XXe siècle décrivent la première génération des artisans textiles comme « modernes », non seulement parce qu’ils se sont appropriés les codes de l’art moderne, mais aussi pour avoir transcendé les « humbles origines » du travail des étoffes, les « libérant » ainsi des traditions et, par là même, accroissant la reconnaissance des critiques et du public à leur égard4 ». En tant que pionniers, ces artisans n’avaient nul besoin de rendre hommage au passé, car celui-ci ne leur était d’aucune aide dans les circonstances nouvelles qui faisaient d’eux des pionniers. En 2022, Harriet Lloyd-Smith, rédactrice artistique de la revue Wallpaper, a bien décrit le succès de cette stratégie dans son article intitulé « Textile artists : the pioneers of a new material world » :

Coïncidant avec le mouvement de libération des femmes des années 1970 et avec l’émergence des mouvements d’art féministes, les activités textiles ont vécu leur propre révolution. L’art des étoffes était né et, catapulté hors de l’espace domestique, il s’est libéré des entraves imposées par le snobisme à peine voilé du monde de l’art. Dépassant son simple contexte utilitaire, ce médium a ainsi pris son autonomie : le textile en soi et pour soi5.

D’une certain facon, ces historiens de l’art n’avaient pas tort : les arts des étoffes ont effectivement été acceptés dans le giron des beaux-arts au cours des années 1960 et 1970; cela ne veut pas dire pour autant que, dans les années antérieures, les textiles faits à la main dans les Prairies étaient considérés aussi archaïques ou indignes de reconnaissance que la littérature critique insinue. La « modernité » est un phénomène complexe qui, prenant de l’ampleur au début du XXe siècle, a engendré un nouveau mode d’existence, une nouvelle esthétique et, peut-être de manière plus significative, un important mouvement de transformation sociale et culturelle – évolution qui a entraîné la création de diverses initiatives de tissage à main dans les Prairies. C’est en suivant le développement de cette toile narrative dans les articles de critique d’art, et en dirigeant l’objectif sur les archives numériques contemporaines (journaux, revues, bulletins, articles sur les expositions d’art et d’artisanat, et calendriers de programmes éducatifs) qu’on peut saisir à quel point l’univers des beaux-arts était fermé aux activités de tissage à la main dans les Prairies (peu importe leur dégré de modernité), et ainsi comprendre tout ce qui nous échappe de leur histoire6. Cette attitude intransigeante, que je résume par « Reculez – Il n’y rien à voir – Circulez », a continué à restreindre les études de l’art dans les Prairies, puisqu’elle semblait dire : « Pourquoi chercher quelque chose qui n’existe tout simplement pas? »

C’est cette regrettable lacune que l’historien des textiles John Vollmer qualifiait en 1988 de « sorte d’amnésie » :

Malgré l’histoire relativement récente de l’art des étoffes […] et l’explosion de cette forme artistique dans les années 1960 et 1970, notre culture contemporaine fait partiellement preuve d’une sorte d’amnésie. Par exemple, le macramé est loin d’avoir été inventé dans les communautés hippies des années soixante… Nier, ou pire encore, oublier les racines traditionnelles des arts des tissus et des étoffes est quelque chose qui nous appauvrit tous.7

Cependant, l’avènement du modernisme a été tel que, dans les années 1980 et 1990, lorsque les artistes des Prairies se sont intéressés à l’histoire de ces provinces, c’était pour en extraire les pépites des siècles passés, plutôt que des décennies précédentes.

Il est important de rappeler que les colons se sont installés relativement tardivement dans les Prairies, et que leur production artisanale à partir de matériaux locaux s’est poursuivie jusqu’au cœur du XXe siècle, accompagnée des notions d’épargne financière, de fierté et d’identité culturelle. Voici ce que déclarait en 1981 Dorothy Burnham, doyenne canadienne de l’histoire du textile et commisssaire de l’exposition L’art des étoffes : le filetage et le tissage traditionnels au Canada, du Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) : « Dans l’Est du Canada, à quelques exceptions près, la production locale de textiles a cessé autour de 1900. Par contre, dans l’Ouest, à la même époque, celle-ci ne faisait que commencer8 ». C’est ainsi que nombre d’étoffes « traditionnelles » des Prairies créées entre 1900 et 1950 et incluses dans l’exposition du MBAC, reflétaient une esthétique moderne9.

Il suffit d’effectuer un rapide survol des journaux des Prairies publiés au début du XXe siècle pour se rendre compte qu’on ne doit pas confondre isolement géographique (ou régionalisme) avec isolement culturel (comme le suggère A. F. Keys, cité en tête de cet article), ni considérer tradition et modernisme comme diamétralement opposés10. En effet, un article intitulé « Modern Art Influence in Fabrics » parut dans de petits journaux du sud de l’Alberta en 1914, quelques mois avant le déclenchement de la Grande Guerre. Cet article présentait alors aux lecteurs « la nouvelle tendance coloriste qui envahissait tous les domaines des arts appliqués » et renforcait cette idée avec l’illustration d’un textile moderne créé par l’architecte et dessinateur autrichien Joseph Hoffman. L’auteur de cet article défendait non seulement l’avenir des textiles modernes, mais aussi leur ancrage dans la tradition : « Même si, au premier abord, on peut ne pas apprécier cette nouveauté artistique, il ne fait aucun doute qu’elle va persister : c’est le prolongement logique des graines semées par William Morris11 ».

C’est en 1927 que l’expression « art des étoffes » est apparue pour la première fois dans le Calgary Herald pour décrire les tissus imprimés créés par des artistes contemporains. Cet article indiquait de façon très précise aux lecteurs comment reconnaître la signature stylistique moderne de ces artistes – « leur nouvel esprit, leurs nouvelles techniques et leurs nouveaux coloris » – empruntée à « l’école futuriste » du monde de l’art12. Cette année-là, Maclean’s Magazine, dans un article intitulé « Woven Fabrics in Decoration: Canada provides a veritable wealth of material for following current mode », déclarait que le tissage à la main traditionnel s’était repositionné dans des termes modernes, qu’il était devenu une expression créative – admirée pour ses couleurs, sa structure géométrique et sa texture –, un mélange attrayant de fonctionnalité et d’art prêt à intégrer les intérieurs modernes des résidences urbaines.

De nos jours, il existe un si grand nombre de créateurs de textiles de toutes les nationalités expérimentant dans le domaine, et toute une génération de jeunes tisseuses traditionnelles répondant à la demande de couleurs et d’effets originaux, que le champ des possibilités décoratives a véritablement explosé… Il y a donc désormais un immense intérêt pour les recherches et les utilisations des productions du tissage. Riches en couleurs, fonctionnelles et originales, celles-ci jouent un rôle important dans les nouveaux schémas de la décoration – et le Canada, en particulier, semble pouvoir en fournir une énorme quantité13.

L’auteur de l’article rappelle aussi que les étoffes modernes, ayant leurs racines dans le passé, sont le produit d’un renouveau « des traditions du tissage des campagnes ». Si ce renouveau des artisanats traditionnels a eu tant de succès dans l’Est du Canada au cours des années 1920 et 1930, c’est grâce aux initiatives de La Guilde (Canadian Handicraft Guild) et des gouvernements provinciaux qui cherchaient à promouvoir le tourisme14. Sous l’impulsion d’Oscar Bériau (Directeur général de l’Association des tisserands du Québec), le tissage à la main est devenu une incarnation du patrimoine franco-canadien et un antidote aux artifices urbains, « à l’écran de fumée de la modernité et à son mode frénétique de consommation15 ». Cette campagne publicitaire a remporté un franc succès, mais il faut remarquer qu’elle reposait en grande partie sur les stéréotypes du « romantisme rural », du « bonheur d’être artisan », de la « cabane douillette » très en vogue dans la littérature à cette époque. En effet, les descriptions de Bériau tendaient à renforcer le caractère « vieux jeu » des artisans et de leur production, faisant d’eux une cible facile de dérision pour les adeptes de la modernité16. Les écrits de Bériau, mieux connus à l’extérieur du Québec que dans sa province natale, ont eu une influence déterminante dans les Prairies au cours des années 1940. Largement consulté, son manuel d’apprentissage Le Tissage domestique (Home Weaving) a été décrit par Craft Horizons, la revue du American Craft Council, comme « l’un des meilleurs ouvrages […], dont la lecture donnera envie à toute la nation de se mettre au filage et au tissage à la maison !17 ».

Dans une présentation de 1931 intitulée « The Value of Handicrafts », Wilfrid Bovey, nouveau président de La Guilde, recommendait aux artisans de l’Ouest de prendre leurs distances par rapport au « type de production dont la popularité repose principalement sur une valeur artistique ou de simple curiosité ». Bovey répondait ainsi aux effets économiques dévastateurs de la sécheresse de 1929, signe avant-coureur de la Grande Dépression dans les Prairies18. Il conseillait donc aux artisans de se concentrer sur des productions utilitaires viables, comme le tissage domestique.

Pourquoi les campagnes canadiennes ne pourraient-elles pas produire tous les tissus et toutes les étoffes nécessaires à l’habillement de la population canadienne? Il n’existe absolument aucune raison qui empêche cette possibilté… Les colons des Hébrides et d’Ukraine installés en Alberta, ainsi que les Canadiens français du Québec, en connaissent toutes les techniques et ont un penchant héréditaire pour cela19.

En 1934, Bovey déclarait que les gouvernements provinciaux devaient soutenir impérativement leurs « populations rurales » et il appelait à un renouveau moderne du tissage à la main comme « l’un des meilleurs espoirs pour les fermiers canadiens de l’avenir », à la fois économiquement et comme « un moyen de retrouver une existence rurale, source de stabilité et de bonheur ». Il poursuivait en encourageant le public, surtout « les gens des villes », à acheter « des tweeds fabriqués à la campagne20 ». Il expliquait également que « l’artisanat rural se différencie de l’artisanat urbain, non seulement parce qu’il est produit à la campagne, mais parce qu’on semble y trouver plus de fraîcheur, respirer un air plus pur21 ».

Cette caractérisation a été si populaire que lorsque l’activiste politique et sociale Nellie McClung (1873-1951) a publié Clearing in the West : My Own Story (1936), elle s’est décrite comme une femme moderne qui « ne savait pas tricoter, faire du crochet ni des courtepointes22 ». Dans son autobiographie, il est évident qu’elle considère les productions faites à la maison comme les traces d’un passé rural. Une enseignante en visite chez elle remarque d’ailleurs que celles-ci sont « un symbole d’une période de notre histoire qui est en train de disparaître. Le travail à la main est remplacé par des machines et les arts domestiques seront bientôt oubliés23 ». De manière détournée, McClung illustre ainsi l’évolution des mentalités par rapport au tissage à la main dans les Prairies : d’abord, comme un signifiant des travaux et talents domestiques ; ensuite comme une source de plaisir créatif ; et enfin comme une sorte d’embarrassement. Mme Mooney (la mère de Nellie) confie à leur visiteuse que la nouvelle génération « a plutôt honte de posséder des choses faites à la maison24 ». Chez McClung, l’usage délibéré de l’expression « faites à la maison » (avec ses connotations d’amateurisme et d’utilitarisme) plutôt que « faites à la main » (connotations professionnelles et « sur mesure ») illustre bien l’avènement du dédain moderniste pour la tradition, la nostalgie et les valeurs rurales et domestiques.

Photo noir et blanc d’un étalage de textiles divers - couvertures, pièces murales, nappes et anneaux de broderie.

“Textiles faits à la main provenant des neuf guildes d’artisanat provinciaux au concours d’exposition et prix annuel du Canadian Handicrafts Guild, à l’Art Association de Montréal, 1933 C11 D3 209 1933

Tissage à la main : domaine de contestation et de négociation

Dans les années 1940, l’évolution du tissage à la main se déroula de façon prudente. Une relation ambivalente, voire antagoniste, s’était développée entre le monde de l’art moderne et celui de l’artisanat, les critiques et les théoriciens de l’art en méprisant les aspects domestiques traditionnels. Dans un article intitulé « How Envy Killed the Crafts », Garth Clark soutient que cette relation devint « de plus en plus acrimonieuse au fur et à mesure que les tisseurs, s’éloignant des valeurs artisanales du début du siècle, se rapprochaient de la conceptualisation/dématérialisation de l’objet artistique qui se produisit après 195025 ». En 1939, le célèbre critique d’art new-yorkais Clement Greenberg défendit l’idée que les artistes modernes n’avaient que deux options : soit faire partie de l’avant-garde, c’est-à-dire remettre en question la tradition, soit produire des œuvres kitsch. Ainsi, dès la fin de cette décennie, « domestique » et « décoratif » étaient devenus des notions péjoratives pour les artistes qui se disaient modernes : « Quand un artiste se fatigue de l’abstraction, il devient un décorateur d’intérieur » et « la décoration est le spectre qui hante la peinture modernes26 », En termes sémantiques de valeur culturelle, « décoratif » et « domestique » avaient donc perdu leur neutralité originale27.

Les défenseurs de l’artisanat tentèrent de s’extraire de cette bataille culturelle qu’ils n’avaient pas cherchée, puisque les valeurs traditionnelles devaient demeurer un élément intégral de l’artisanat moderne. En 1942, dans un article sur l’exposition d’artisanat britannique moderne au musée d’art Metropolitan de New-York, le défenseur de l’artisanat américain Allen Eaton se senti obligé d’expliquer aux lecteurs de la nouvelle revue Craft Horizons qu’un terrain neutre pouvait exister. Selon lui, il ne fallait pas craindre l’emploi du terme « moderne » en tant que descriptif de l’activité artisanale, « car celle-ci est moderne dans le meilleur sens du terme, puisqu’elle se passe de nos jours tout en gardant un rapport naturel et spécifique avec le passé. [Ce rapport] n’a pas la signification indéfinie, parfois confuse et bizarre, qu’on associe au terme “moderne”28. »

Dans son article « Hand-Weaving as an Art Form » publié en 1942, l’artiste textile américain Ed Rossbach (1914-2002) considérait lui aussi la tradition en tant que notion intégrale d’une pratique moderne réussie :

En étudiant ces tissages, on peut conclure que les artisans cherchant à garder une place vitale dans notre société doivent bien connaître leur médium, ses potentialités et ses limitations. Ils doivent avoir des idées et un objectif esthétique précis, puis faire preuve d’audace, de patience, d’ingénuité et de sensibilité dans l’exploration de leur art afin de réussir à donner la meilleure forme possible à leurs idées29.

Ayant étudié les époques antérieures à 1980, Rossbach suggérait que même si les tisseurs avaient pu suivre diverses voies (ce qui avait donné naissance au débat acrimonieux entre art moderne et artisanat), c’est leur compréhension tacite que les arts textiles encourageaient l’innovation et « stimulaient l’expérimentation de nouveaux matériaux » qui avait encouragé certains d’entre-eux à participer au mouvement des arts textiles des années 196030. Dans divers articles d’American Craft, Rossbach décrit les voies séparées, et pourtant complémentaires, prises par plusieurs artistes reconnus des années 1940. Deux femmes, formées à l’école du Bauhaus, viennent à l’esprit : Anni Albers (1883-1977) – dont les tissages « intellectuellement géométriques » et les théories esthétiques illustraient son allégeance aux arts modernes, dessins et processus de production – et Mary Meigs Atwater (1878-1956) – « la doyenne du tissage américain ». Toutes deux étaient déjà connues pour avoir fondé la guilde Shuttle-Craft en 1922 et publié The Shuttle-Craft Book of American Hand-Weaving. Being an account of the rise, development, eclipse and modern revival of a national popular art (1928).

Rossbach remarquait qu’« Atwater enseignait à ses élèves la valeur des œuvres traditionnelles en étudiant leur structure et en les copiant, et qu’elle encourageait ainsi une meilleure conscience du tissage traditionnel ». Il concluait que « selon Atwater, les tisseurs participaient à la fois du monde de l’art par leur créativité et de celui de l’artisanat par la satisfaction personnelle qu’ils retiraient de leur travail31 ».

Annonce dans un journal : Annonce la présence de Alberta School of Community Life à I’École d’agriculture de Olds, du 3 au 16 juillet. Détails des cours proposés et des conférenciers invités.

Annonce publiée dans le Calgary Herald, une division de Postmedia Network Inc. Le 29 juin 1940, p. 15. Avec la permission du Olds College of Agriculture & Technology.

C’est parce qu’Atwater défendait ces valeurs que le département d’éducation permanente de l’Université de l’Alberta l’avait invitée à donner des ateliers de tissage à l’école School of Community Life d’Olds en Alberta au cours des étés 1939 et 194032. Cette initiative eut tant de succès qu’Atwater est devenue la première enseignante du cours « Tissage et conception textile » dans le nouveau programme (1941) des arts appliqués de l’école des beaux-arts de Banff (p. 66). Cela fut possible grâce à une subvention de tissage par la Fondation Carnegie destinée à « mettre en place et à maintenir un haut niveau d’expertise artisanale dans la province » (les subventions Carnegie étaient administrées par La Guilde33). Atwater était en quelque sorte la personne idéale pour ce poste. Voici ce que dit d’elle la description de ce cours :

L’école des beaux-arts de Banff est honorée que Mme Mary Meigs Atwater ait accepté d’être la première enseignante de notre cours de tissage […]. En plus d’avoir créé sa propre école de tissage à Basin au Montana, Mme Atwater enseigne régulièrement dans divers centres des États-Unis. Artiste, conceptrice et artisane renommée, c’est elle – plus que tout autre – qui a redonné à l’art du tissage la place qu’il mérite dans notre pays34.

Atwater a défini les principes fondamentaux des ateliers de Banff, aidée en cela par Ethel Henderson de Winnipeg, une diplômée de ses cours par correspondance. Les cours de niveau débutant et avancé de l’école de Banff avaient pour objectif d’améliorer les standards de tissage afin de susciter un intérêt populaire mais, plus encore, une reconnaissance critique35. Donald Cameron, directeur du programme d’éducation permanente de Banff, prit alors plaisir à remarquer que « parmi les étudiants se trouvait le millionaire fondateur de la célèbre marque californienne de machines à coudre36 ». Cet été-là, les participants aux cours de Banff n’ignoraient certainement pas les débats autour de la direction moderne que prenait le tissage à la main : en effet, le numéro de juillet/août de la revue The Weaver venait de publier la réponse indignée d’Atwater à l’article d’Anni Albers qui, en janvier-février, avait déclaré dans Handweaving Today: Textile Work at Black Mountain College :

Malheureusement, de nos jours, les méthodes de production modernes, qui sont techniquement supérieures, ont provoqué une dégénérescence du tissage à la main. Au lieu d’un développement libre de nouvelles formes, on utilise trop souvent des formules traditionnelles, des « recettes » qui avaient autrefois du succès, au détriment de l’intelligence, de l’imagination et de la fraîcheur créatives37. [Atwater employait souvent le terme “recette”.]

Photo noir et blanc : une femme de dos en train de tisser dans une salle de classe où d’autres femmes travaillent, sous le regard d’autres femmes.

Cours de tissage au Banff School of Fine Arts, 1950. Avec la permission de la Bibliothèque et Archives du Musée Glenbow, Libraries and Cultural Resources Digital Collections, University ».

Sur la fonction que pouvait jouer le tissage à la main, Albers poursuivait : « [Si ce travail] est conçu comme une étape préparatoire à la production mécanique, il pourra entraîner un véritable renouveau de talents oubliés et tenir un rôle important dans ces nouveaux développements ». Elle ajoutait ensuite : « Pour que le tissage à la main regagne une influence dans notre société, il faut que l’aventure de l’exploration remplace la simple répétition de modèles […]. [Pour] devenir un art véritable, il faut que le tissage continue d’améliorer son niveau d’expertise et qu’il ajuste toutes ses techniques dans ce sens38 ».

Atwater avait déjà critiqué le langage moderne et formaliste d’Albers, appelant « notions étranges39 » ce que d’autres décrivaient comme une approche intellectuelle du tissage à la main. Atwater débutait ainsi son article « It’s Pretty but is it Art? » : « Je suis en désaccord, en désaccord total. Il est stimulant de ne pas être d’accord », avant de poursuivre : « Mme Albers suggère que le tissage à la main “peut être de l’Art, avec un grand A”, grâce à ce qu’elle nomme le “développement libre de nouvelles formes” sans se préoccuper de “répondre à une quelconque demande” – tout en conservant, si je comprends bien, le tissage dans le contexte d’un usage utilitaire. L’argument d’Albers, qui me rappelle le principe depuis longtemps discrédité de l’“art pour l’art”, ne me semble pas être une inspiration pertinente pour les artisans ». Atwater ajoutait ensuite : « un textile “de forme libre”, fabriqué de façon si désinvolte qu’il n’aurait aucune cohérence, ne saurait porter le nom de textile ». Atwater proposait toutefois également ceci : « “L’aventure de l’exploration” est un objectif intéressant, qui peut-être éminemment désirable, pour autant qu’une personne maîtrise bien les connaissances techniques et les habiletés pour mener un tel projet à terme40 ».

Les articles d’Albers et d’Atwater ont certainement donné lieu à de nombreuses discussions au sein de la cohorte de l’école de Banff – peut-être même à des antagonismes – étant donné que certains étudiants et professeurs provenaient du département d’art du Southern Alberta Institute of Technology and Art (SAIT ou The Tech). En effet, cet institut avait créé des classes de tissage au début des années 1930 dans le cadre de son programme de trois ans en Art et artisanat appliqués – programme dont la popularité avait entraîné la création d’un poste d’enseignant de tissage en 194041. Parmi les artistes inclus dans l’exposition Prairies entrelacées, un grand nombre d’entre eux avaient déjà été formés à SAIT, dont Doug Motter (cat. 36), qui avait étudié le tissage et l’enseigna de 1963 à 1976. D’autres artistes, tels que Hazel Schwass (voir plus bas), Inese Birstins (cat. 6) et Katherine Dickerson (cat. 11), étudièrent à l’école de Banff.

Photo : cliché sépia flou de trois femmes devant des sapins et une montagne. Elles portent des vêtements des années 1940 et sourient devant l’appareil photographique.

De gauche à droite : Winnifred Savauge, Ethel M. Henderson et Mary Sandin au Banff School of Fine Arts. “Calendrier du programme”, Applied Art (vers 1947), p. 28. Avec la permission de Paul D. Fleck Bibliothèque et Archives, Banff, Alberta, Acc# 2003-10.

Couverture d’un livre intitulé Loom Music, janvier 1953, avec les signatures de Mary Sandin (Edmonton) et Ethel Henderson (Winnipeg)

Loom Music IX, no. 1 (janvier 1952), couverture.

Atwater, qui pensait continuer à enseigner à Banff l’année suivante (du 28 juillet au 21 août 1942), dut cependant modifier ses plans au début du mois de juillet : « À cause des restrictions gouvernementales du Canada […], les personnes visitant ce pays ne seront pas autorisées à acheter plus d’un total de vingt gallons d’essence […]. Il me semble donc sage de ne pas envisager de voyage cette année42. » Dans son histoire de l’école de Banff, Cameron écrivit que « Mmes Henderson et Mary Sandin de l’Université de l’Alberta, qui se joignirent à notre personnel enseignant en 1942, sont aujourd’hui toutes deux reconnues parmi les meilleures instructrices de tissage du continent43 ». Diverses sources révèlent que les tissages produits à Banff avaient certains rapports avec les pratiques artistiques modernes des années 1940 et 1950 : d’un côté, les critiques des expositions d’art et d’artisanat dans les journaux locaux ; de l’autre, les pages de Loom Music (1945-1965), un bulletin de plusieurs pages à l’intention des tisseurs et des membres de la ligue canadienne, édité et produit par Sandin et Henderson. Loom Music, avec ses modèles, ses instructions et sa multitude de conseils, faisait écho au Shuttle-Craft Bulletin (1924-1954) d’Atwater et, comme celui-ci, fournit une bonne indication de la direction prise par le tissage à la main dans les Prairies à cette époque. Par exemple, pour stimuler leurs lecteurs, les éditeurs de Loom Music employèrent un extrait du livre de la tisseuse britannique Ethel Mairet, Hand Weaving Today : Traditions and Changes, dans lequel celle-ci s’intéressait à la nature moderne des « petits ateliers individuels [parce que] c’étaient des laboratoires de grande valeur qui encourageaient la pensée critique et l’expérimentation du tissage sous tous ses rapports44 ». Cette revue invitait également ses lecteurs à faire cette réflexion : « En tant qu’association de tisserands, pouvons-nous prendre l’engagement suivant : que, pour chaque mètre de tissu utilisé dans notre chaîne de tissage, nous en mettions un de côté pour l’expérimentation? Ne nous limitons pas à suivre aveuglément des instructions, mais apprenons à devenir de vrais tisseurs45 ».

Photo noir et blanc : vue agrandie d’un tissage blanc et gris foncé avec deux lignes noires dans la partie supérieure et inférieure, et le chiffre 2 dans le coin inférieur droit.

Détail de Automatic, technique de conception libre. Loom Music IX, no 2 (février 1952). p. 16.

Ceux-ci ne suivaient pourtant pas les modèles de façon aveugle. À Banff en 1945, Sandin et Henderson assistèrent à une présentation de l’artiste J. W. G. [Jock] Macdonald au cours de laquelle il présenta la technique du dessin automatique46. Inspirées par cette approche, elles s’installèrent à leur métier à tisser et commencèrent à travailler le tissage automatique. « Nous n’avions qu’une compréhension imparfaite de ce principe par lequel il fallait se vider l’esprit de toutes pensées pour donner libre cours à notre subconscient. Mais comme cela correspondait un peu à ce que nous faisions déjà en tissant […], cette technique devint une véritable aventure dans laquelle nous tentions de nous laisser entièrement guider par notre inspiration47 ».

Un certain nombre d’initiatives introduisirent le tissage à la main dans les Prairies et, en 1939, Atwater fit une remarque anodine sur les divers aspects du renouveau de cet artisanat au Québec et la promotion du tissage à la main moderne dans les Prairies : « Une énorme quantité de tissage rudimentaire est produite au Québec depuis un grand nombre d’années, surtout comme source de revenus pour les fermiers. Cependant, dans l’Ouest, l’intérêt pour ce médium est plus récent et plus aligné sur des objectifs artistiques – et donc moins sur des buts lucratifs48 ». L’année suivante, Atwater écrivit également ceci à l’issue de son expérience d’enseignement à Banff :

En Alberta et en Colombie-Britannique – et certainement dans d’autres provinces canadiennes – les universités de l’État [sic] ont fait de grands efforts de promotion de l’artisanat. […] Elles envoient de jeunes artisanes dans les régions les plus distantes et inaccessibles du pays afin d’enseigner, entre autres, l’art du tissage aux nouvelles générations […]. Je ne connais aucune initiative semblable dans les universités américaines. Et je me demande pourquoi !49

Il n’est pas surprenant qu’Anni Albers ait été moins enthousiaste pour ce genre d’initiatives, qu’elle qualifiait de rétrogrades : « Il existe deux autres aspects au travail du tissage qui ne sont pas liés intrinsinquement à l’idée d’un développement futur : celui d’une occupation de loisirs et celui d’une source de revenus dans les communautés rurales, [ces aspects n’étant souvent] que des tentatives romantiques pour retrouver le temps perdu – résultats d’une attitude passéiste, plutôt que d’une intervention moderne ». Albers lançait aussi cet avertissement : « ne pas oublier que le tissage à la main n’est qu’un moyen d’atteindre un but, et qu’il n’est pas un intérêt en soi50 ».

Initiatives de tissage dans les Prairies au cours des années 1940

Les plus importantes recherches en éducation ne l’ont révélé que très récemment, mais la culture – du cerveau, de la vie et de l’âme – commence par celle des doigts. Négliger l’apprentissage manuel entraîne un durcissement du toucher et un émoussement des sensations fines51.

En s’écartant des débats critiques et en se tournant vers la documentation originale de la culture du tissage dans les Prairies (en grande partie disponible dans les archives numériques), on peut découvrir que des centaines de tisseuses (en effet, c’étaient majoritairement des femmes) ont été entraînées dans cette activité grâce à deux initiatives rurales mises en place dans les années 1940. On apprend ainsi qu’un grand nombre de femmes se sont mises à cette nouvelle pratique “traditionnelle” et ont développé leurs habiletés. Les récits de cette époque qualifient ces initiatives de « modernes » non seulement parce qu’elles présentaient des techniques et des matériaux nouveaux, mais aussi parce qu’elles reposaient sur la notion de force de transformation sociale et culturelle. On peut donc dire que le tissage à la main était un moyen créatif de diffusion des idéologies modernistes.

Photo : une carte avec trois trous percés sur le bord droit. Le titre se lit « Plain Weave » avec deux pièces de tissu, l’une étiquetée « Linen », l’autre « Paverna ». Des instructions et des chiffres manuscrits figurent au-dessus et au-dessous du tissu.

Une page du cahier d’échantillons de Grace Ethel (Stoner) Sundstrom. Elle a appris à tisser à Kennedy, en Saskatchewan, dans les années 1930 en s’inscrivant au programme de Searle. Photo de Dave Brown, LCR Photo Services et cahier d’échantillons avec la permission de Gail Niinimaa.

Ces deux initiatives s’inspiraient du travail effectué au Québec et en suivaient le même format : six semaines de cours permettaient aux participants de compléter un livret de tissages. Décrivant certains de ces livrets, Janet Hoskins commente la solide méthodologie qui soutenait ces classes non seulement la première année, mais aussi dans les années subséquentes52. Ces livrets avaient une double utilité : documenter les techniques et les progrès des apprenants d’une part, et servir d’aide-mémoire pour des cours et des projets à venir d’autre part. En 1941, le premier programme de tissage à la main dans les villages des Prairies fut organisé au Manitoba et, avec l’importante communauté francophone de cette province, il était naturel que la commission scolaire se tourne vers le Québec et vers Oscar Bériau pour chercher des conseils. C’est donc la Société canadienne d’enseignement postscolaire du Manitoba et l’Église catholique romaine qui co-administrèrent ces cours. Bériau ayant envoyé deux enseignantes de tissage associées aux Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie (SNJM) du Québec, la première classe fut organisée à l’académie Saint-Joseph de Saint-Boniface en juillet 194153.

Couverture jaunie de « Leclerc Hand Weaving Looms ». Elle présente des marques d’agrafes sur le bord gauche, un carré arrondi avec la photo d’une femme, dans un salon recouvert de moquette, devant un métier à tisser. Une date en haut à droite indique « mai 1956 »

Mme Dorothy Rankine, consultante, « le service de tissage à domicile Searle », est présentée à domicile avec le tissage d’un manteau long en laine bleue de caniche. Les rideaux longs, ٢٢ verges, ont été tissés par Mme Rankine à partir de coton de couleur turquoise et de bouclé rêche couleur blanc gardénia. Les rideaux contre la vitre ont été tissés par Mme Norman Lewis à partir de bouclé rêche et de fil métallique de couleur blanche Ice-Gold. Le célèbre G.E.T. à Québec, dans le grand tableau, est fait au crochet. La chaîne de laine sur le métier mesure 15 verges, une longueur suffisante pour la confection d’un manteau et d’un habit assorti.  Leclerc Present the Hand Weaving Looms, no 128 (mai 1956) : page couverture. Image reproduite avec la permission du Manitoba Crafts Museum and Library, 130.00-08.

La presse suivit les progrès de cette initiative avec grand intéret, surtout du côté franco-canadien qui défendait les valeurs familiales et catholiques. En 1942, le journal Winnipeg Tribune fit une critique détaillée de l’exposition organisée à la fin du programme du « cercle de tissage domestique » de la ferme de Ste-Agathe54. Bien que les œuvres reçurent des commentaires élogieux, ni l’enseignante ni les participants ne furent mentionnés, et seul le prêtre de la paroisse fut interviewé. Le père Clovis Paillé, dans le style paternel de l’époque victorienne, se laissa aller à un enthousiasme débordant :

Nous espérons que tout cela entraînera des initiatives d’élevage de moutons et de culture de lin. Car, dans le cadre de ce programme ayant remporté un grand succès, ces femmes n’ont pas seulement créé de jolies choses pratiques pour les maisons […], elles ont aussi appris l’épargne financière, la patience et la perséverance. Quant à nous qui avançons en âge, nous avons pu nous rendre compte que beaucoup de jeunes femmes avaient d’autres intérêts que les vains plaisirs55.

De même, dans « Le Tissage domestique en Saskatchewan » (1943), l’abbé Maurice Baudoux décrivit le tissage à la main comme un moyen de faire face aux vicissitudes de l’isolement rural et de la guerre, insistant sur le rôle joué par les textiles domestiques dans l’effort de guerre. Selon lui, après avoir beaucoup influencé le goût pour les choses « faites à la maison », le tissage à la main allait faire preuve plus encore de créativité en temps de paix56.

La deuxième de ces initiatives, de type séculaire et bienveillant, a semble-t-il permis d’enseigner gratuitement le tissage à « plus de mille jeunes filles et femmes du monde rural, leur permettant ainsi de créer de belles étoffes d’usage pratique pour la maison à une fraction de ce qu’elles coûtaient dans le commerce57 ». Augustus L. Searle, de l’entreprise Searle Grain, regrettait que tant de jeunes femmes aient quitté les campagnes pour rejoindre les hommes dans l’effort de guerre. Searle avait pour objectif d’encourager les familles à rester dans les fermes afin d’enrayer l’exode vers les villes. Searle se tourna aussi vers Bériau, que sa revue Hand Loom Weaving décrivait comme étant « sans conteste la plus grande autorité du continent américain, et l’une des plus grandes du monde, dans le domaine de l’artisanat et en particulier du tissage58 ». En 1942, Searle créa un programme de tissage qui n’avait pas pour but, selon le Winnipeg Tribune, « d’établir une nouvelle industrie dans les fermes, mais simplement de montrer comment tisser à ces femmes pour qu’elles puissent améliorer leur environnement personnel59 ».

La fille d’Oscar Bériau, Renée, elle-même tisserande professionnelle, se rendit au Manitoba afin de recruter et former des enseignantes potentielles pour Searle. Elle sélectionna quatre femmes, tisserandes expérimentées sachant l’anglais et au moins une autre langue : deux parlaient le français, une le suédois et l’autre l’ukrainien et le russe – ce qui en dit long sur les traditions de tissage qui existaient à l’époque dans les Prairies60. Ayant complété un programme intensif de trois mois, ces nouvelles enseignantes furent envoyées dans des communautés rurales de l’Alberta et de la Saskatchewan où, selon Frank Kennedy, éditeur de la section agricole du Calgary Herald, elles eurent « énormément de succès », en partie parce que la compagnie Searle payait tous les frais, y compris tous les matériaux employés par les participantes dans le cadre de cette formation61 ».

Photo noir et blanc : cinq femmes le long d’un mur drapé de textiles, assises sur des bancs en train de tisser. Une autre femme observe, en montrant les fils du métier à tisser de la première femme, tandis qu’une autre femme est assise à un rouet.

Cours de tissage à Searle. Tissage sur métier à bras… L’histoire des efforts de la Searle Grain Company pour commanditer le tissage à main chez les agricultrices des provinces des Prairies (Winnipeg, 1944), s.p.

Ces cours se donnaient dans des villes ayant un élévateur à grains Searle, afin que les métiers à tisser et tout l’équipement puissent être acheminés par le train, et ensuite facilement transportés dans un autre centre de formation Searle. Les participantes devaient également signer une décharge stipulant qu’elles s’engageaient « à suivre fidèlement toutes les enseignements de leur enseignante et à ne tisser durant les périodes d’enseignement qu’avec les matériaux et suivant les modèles approuvés par l’enseignante, parties intégrales de ce programme d’instruction62 ». L’autre obligation requise des participantes était de « s’engager, au terme de ce programme, à former un cercle de tissage et à enseigner gratuitement les techniques du tissage à toutes les fermières qui en exprimeraient le désir63 ». Les diplômées du programme Searle continuèrent donc à tisser, enseigner, créer des guildes, de même qu’à expérimenter et exposer leurs travaux64. Dans la revue The World of Wheat, le directeur de recherche de la société Searle Grain mettait régulièrement à jour ces avancées. En 1943, il put ainsi rapporter que deux cents participantes à leur programme avaient soumis des exemples de leurs tissages pour une exposition au Québec – où, d’après Strange, ils furent admirés « non sans une certaine jalousie65 ». La méthodologie Searle correspondait à celle d’Atwater : « c’est en tissant qu’on apprend à tisser – en commençant à tisser quelque chose66 ». Mais une fois le programme terminé, la manière sont les participantes usaient de ces techniques s’avérait une toute autre histoire.

Photo : une variété de textiles de la maison disposés pour être exposés, notamment une chemise à carreaux, une serviette à rayures bleues, un sac à main bleu et orange, une poignée et un tablier, une longue couverture à rayures vertes et feu, entre autres.

Artisanat fait par les élèves des cours de tissage Searle. L’histoire des efforts de la Searle Grain Company pour commanditer le tissage à main chez les agricultrices des provinces des Prairies (Winnipeg, 1944), s.p.

Hazel Schwass, diplômée du programme de tissage Searle

Née en Saskatchewan, Hazel [Pollock] Schwass (1925-2011) avait 18 ans lorsqu’elle s’inscrit au programme Searle de six semaines; elle en avait 49 quand elle créa Untitled (1974) (cat. 51) et 60 lorsqu’elle définit la voie artistique décrite dans le fichier artistique personnel des arts visuels d’Alberta Culture (1984). Elle y reconnaît devoir une grande partie de son succès en tant qu’artiste textile à l’enseignement qui lui fut prodigué dans le cadre du programme Searle, en particulier sur un métier à tisser à quatre harnais, qui l’avait aidée à « devenir autonome sur cet appareil qui permettait quarante techniques de tissage différentes et de nombreuses applications pratiques ».

L’enthousiasme de Schwass pour les textiles ne diminua pas au fil des ans et elle continua à déveloper ses habiletés de tissage, non seulement en suivant des cours dans ce domaine, mais aussi dans ceux du filage et de la teinture des matériaux.

J’ai tissé de façon traditionnelle pendant vingt ans et me sers de cette expertise technique et esthétique dans tout mon travail. Qu’un tissage ait une fonction pratique ou non, je crois qu’il doit avoir une structure solide et être effectué en respectant les plus hautes exigences de qualité67.

Même si Schwass défendait activement les aspects fonctionnels de son travail, on peut se demander si un article publié en 1972 dans le Calgary Herald n’aurait pas été le catalyseur du changement de direction qu’elle prendra par la suite. Le journaliste Ken Liddell la félicita de manière paternaliste en expliquant :

À partir d’une activité traditionnelle – occupation de loisirs ayant des aspects thérapeutiques qu’elle pratique dans le sous-sol de sa maison (qu’elle appelle sa « salle d’amusement ») –, Mme Schwass crée des produits chaleureux et confortables : couvertures de selles pour chevaux et de sièges automobiles pour les humains68.

Quoi qu’il en soit, deux ans plus tard, Schwass s’était trouvé une nouvelle passion, « le tissage en forme libre », et elle créait et exposait des œuvres textiles conceptuelles comme Untitled (1974), ainsi que des pièces de grande taille pour des commandites publiques. En 1979, Schwass reçut une bourse pour suivre les cours de Mary Snyder à l’École des beaux-arts de Banff, où elle travailla sur un métier à tisser à multiples harnais et sur des modèles tridimensionnels de tissage. Ainsi que l’avait espéré Augustus Searle quand il avait lancé ce programme, Schwass continua à enseigner et à inspirer plusieurs générations de tisserands, en particulier à Lethbridge en Alberta69. Comme de nombreux artistes de l’exposition Prairies entrelacées, Schwass combine habiletés traditionnelles et non-traditionnelles :

Je crois que mon travail de tissage a évolué des tentures murales en deux dimensions vers des dessins et des concepts tridimensionnels adaptés à des bureaux et des espaces publics. J’expérimente constamment avec de nouveaux matériaux autres que les textiles, cherchant à les intégrer dans mes tissages70.

Conclusion : Reculez – Il n’y a rien à voir – Circulez

Bien que les productions de culture matérielle que nous avons mentionnées aient souvent été rabaissées au rang d’initiatives de renouveau romantique ou de bienfaisance, il ne fait aucun doute que la riche histoire du tissage à la main dans les Prairies mérite des analyses plus approfondies afin d’en dégager toutes les influences. En effet, ces efforts de promotion de tissage véritablement modernes furent soutenus par des idéologies inspirées du mouvement socio-utopique. Puisque ces tisseurs étaient actifs dans les deux domaines de l’art et de l’artisanat, il semble évident que « les projets interactifs et communautaires qui s’adressaient aux artisans, aux consommateurs et aux commanditaires » – par l’entremise de l’École des beaux-arts de Banff, du Département d’art de SAIT/The Tech et des programmes de tissage Searle – signalaient aussi « l’émergence d’un mouvement d’indépendance, d’agentivité et de résistance chez les artisans71 ».

Dans ce chapitre, nous avons tenté de dégager le rôle de la modernité dans le succès critique remporté par le mouvement des arts des étoffes, et d’identifer comment ce succès a alimenté la toile narrative de cette production au fil des générations. Pour cela, nous avons remis en lumière un certain nombre d’initiatives du milieu du siècle dernier dans les Prairies longtemps “oubliées”. Il ne fait aucun doute que la rhétorique moderniste du domaine de l’art qui était en vogue à cette époque a joué un rôle important dans la reconnaissance critique des arts textiles au cours des années 1960 et 1970 – même si cette rhétorique a entretenu des préjugés existants (relatifs aux genres, aux médias, à la culture, aux régions) qui ont maintenu les pratiques textiles, même les plus modernes, en position marginale (voire inexistante) dans la littérature critique72.

Si John Vollmer appelait « une sorte d’amnésie » l’interruption qui s’était produite dans l’histoire de la production textile, il ne faudrait surtout pas oublier qu’aucune amnésie historique n’est innocente : en effet, l’histoire, comme toutes les connaissances humaines, est le résultat d’une construction intellectuelle. Les premières générations d’artisans textiles, intégrant les débuts de la tradition moderniste dans leur apprentissage et leur travail, mirent l’accent sur la transition vers le monde des beaux-arts. Rejetant les préjugés et les rapports traditionnels du tissage à la main, ces véritables artistes n’hésitèrent pas à expérimenter avec les nouveaux médias et les nouvelles techniques, devenant ainsi les pionniers d’un nouveau domaine artistique : l’art des étoffes73. On pourrait même dire que s’ils avaient continué à respecter les modèles traditionnels, cela n’aurait fait qu’aggraver la hiérarchie et les préjugés de l’époque. À la fin des années 1980, les artistes textiles acquirent donc un statut de rebelles postmodernes en utilisant les étoffes de manière créative à des fins subversives. Pourtant, la campagne moderniste eut tant de succès que, lorsque ces artistes s’intéressaient à l’histoire des textiles, c’était vers celle des siècles passés qu’ils se tournaient – plutôt que celle des décennies précédentes.

Comme nous le suggérons ici, ce chapitre n’est que le début de recherches dans un domaine qui semble inexploré et qui devrait permettre de découvrir beaucoup d’autres choses sur les pratiques textiles novatrices des Prairies. Par un simple changement de perspective entre art et artisanat, on voit émerger une riche toile narrative à partir des archives socio-historiques de ces provinces. Ce qu’on y trouve enrichit la signification des tissages créés jusqu’à présent et qui sont présentés dans cette exposition. Chaque œuvre propose un nouveau point de départ pour une histoire alternative qui attend d’être racontée, à partir de preuves incontestables que les graines d’un mouvement textile régional, vigoureux et moderne ont été semées dans les Prairies bien avant la naissance du mouvement de l’art des étoffes.

Notes

  1. 1 Nellie McClung, « Visit from the Teacher », Clearing in the West : My Own Story, Toronto, Thomas Allen, 1935, p. 178.
  2. 2 A. [Archibald] F. Keys, « Introduction », Alberta Artists, 1961, Calgary, Calgary Allied Arts Council, 1961, s.p.
  3. 3 John Vollmer, dans Cinquième Biennale de Tapisserie Contemporaine de Montréal, Montréal, Quebec Society of Contemporary Tapestry, 1988, p. 43. De 1984 à 1986, Vollmer a été conservateur en chef de la section Fine and Decorative Arts au Glenbow-Alberta Institute de Calgary.
  4. 4 Karen Patterson, dir., Lenore Tawney: Mirror of the Universe, Chicago, University of Chicago Press, 2019; Mildred Constantine et Jack Lenor Larson, Beyond Craft : The Art Fabric, New-York, Van Nostrand Reinhold, 1972, p. 7.
  5. 5 Harriet Lloyd-Smith, « Textile artists : the pioneers of a new material world », Wallpaper, 24 mars 2022, https://www.wallpaper.com/art/contemporary-textile-artists.
  6. 6 Bien que des chercheurs de diverses disciplines aient tenté de relever ce défi, la toile narrative des Prairies reste à faire.
  7. 7 Vollmer, Cinquième Biennale, p. 43.
  8. 8 Dorothy Burnham, « Multi-Cultural Traditions in Western Canada », The Comfortable Arts : Traditional Spinning and Weaving in Canada, Ottawa, Musée des beaux-arts du Canada, 1981, p. 202.
  9. 9 L’exposition de la Galerie nationale du Canada a identifié plusieurs traditions textiles : celles des autochtones, des pionniers et des immigrants.
  10. 10 Virginia Nixon, « The Concept of Regionalism in Canadian Art History », Journal of Canadian Art History, 10, no 1, 1987, p. 30-41.
  11. 11 « Modern Art Influence in Fabrics », Carlstadt News, 11 mars 1914, p. 11.
  12. 12 « Women to Wear Signed Works by Eminent Artists », Calgary Daily Herald, 25 mars 1927, p. 11.
  13. 13 Anne Elizabeth Wilson, « Woven Fabrics in Decoration : Canada provides a veritable wealth of material for following current mode », Maclean’s, 15 août 1927, p. 65-66.
  14. 14 Oscar Bériau, « Craft Revival in Quebec », Craft Horizons 2, no 1, novembre 1942, p. 25-26.
  15. 15 Louis Arthur Cunningham, « Among the Cottage Crafters », Canadian Home Journal, mars 1933, p. 8, p. 34 et p. 40.
  16. 16 T. J. Jackson Lear, No Place of Grace : Antimodernism and the Transformation of American Culture, 1860-1920, Chicago, University of Chicago Press, 1983.
  17. 17 Oscar Bériau, Le Tissage domestique, Québec, Ministère de l’Agriculture, 1939; « Book Review », Craft Horizons 2, no 1, 1942, p. 27; « The Craft Revival in Quebec », Craft Horizons 2, no 1, 1942, p. 25-27.
  18. 18 Puisque les provinces des Prairies dépendaient en presque totalité des matériaux bruts et de la production agricole, cette sécheresse a marqué le début de la décennie désormais appelée « La Grande Dépression ».
  19. 19 Wilfrid Bovey, « The Value of Handicrafts », Calgary Daily Herald, 6 février 1931, p. 4. Voir également : « One Result of the Immense Tourist Traffic in Canada is a Revival of Home Industries », Oyen News, 8 février 1928, p. 5; « To Develop Home Art Industries : Canadian Handicraft Guild to Hold Exhibition in Regina », Irma Times, 1er mars 1929, p. 2.
  20. 20 Wilfrid Bovey, « Future of Handicrafts : Means of Regaining Contented and Permanent Rural Life », Crossfield Chronicle, 18 janvier 1934, p. 6; Redcliff Review, 1er février 1934, p. 3.
  21. 21 Wilfrid Bovey, « “Colonel Bovey’s Address” Art Reference Round Table », Congrès de Montréal, Bulletin of the American Library Association 28, no 9, septembre 1934, p. 551-555.
  22. 22 McClung, « Visit », p. 242.
  23. 23 McClung, « Visit », p. 177.
  24. 24 McClung, « Visit », p. 178.
  25. 25 Garth Clark, « How Envy Killed the Crafts », dans Glenn Adamson (dir.), The Craft Reader, London, Berg, 2010, p. 446.
  26. 26 Clement Greenberg, « Review of Exhibitions of Joan Miró, Fernand Leger, and Wassily Kandinsky », [1941] dans John O’Brian (dir.), The Collected Essays and Criticism : Vol 1, Perceptions and Judgments, 1933-1944, Chicago, University of Chicago Press, 1986, p. 64, et « Milton Avery », [1957] dans The Collected Essays Vol. 4, Modernism with a Vengeance, 1957-1969, p. 43.
  27. 27 John Bentley Mays, « Comment », American Craft 45, no 6, décembre 1985/janvier 1986, dans Adamson, Craft Reader, 430-440. Critique d’art canadien, Mays a expliqué pourquoi les critiques d’art n’accorderont jamais autant d’attention à l’artisanat comme les artisans (et même certains artistes) le souhaitent : « Ce n’est pas parce que l’artisanat ou l’artisanat-en-tant-qu’art (comme j’en ai fait l’expérience) soit inférieur aux productions artistiques, mais que ce n’est purement et simplement pas de l’art », p. 432.
  28. 28 Allen Eaton, « Exhibition of Modern British Crafts », Craft Horizons 2, no 1, mars 1942, p. 8-10. Après avoir été montrée au Metropolitan Museum of Art de New-York, cette exposition a été présentée à Ottawa, Montréal et Québec en 1943.
  29. 29 Ed Rossbach, « Hand-Weaving as an art form », Craft Horizons 8, no 23, novembre 1948, p. 20-21.
  30. 30 Ed Rossbach, « Fiber in the Forties », Craft Horizons 42, no 5, novembre 1982, p. 15-19.
  31. 31 Ed Rossbach, « Mary Atwater and the Revival of American Traditional Weaving », American Craft 43, no 5, avril-mai 1983, p. 22.
  32. 32 « Handicraft Expert Flies to Olds for School. Noted Weaver. Olds School Agriculture », Calgary Daily Herald, 4 juillet 1939, p. 8.
  33. 33 Ralph Clark, A History of the Department of Extension at the University of Alberta, 1912-1956, Toronto, University of Toronto Press, 1985. Alice B. Van Delinder a obtenu une bourse en 1943. Elle a enseigné dix ans à l’école de Banff et quinze ans à Tech : « Weaving Instructor Retires », Calgary Herald, 16 mai 1962.
  34. 34 Banff School of Fine Arts, calendrier, 1942, p. 17.
  35. 35 Les premières listes de classes incluent un nombre surprenant d’étudiants originaires des États-Unis.
  36. 36 Donald Cameron, Campus in the Clouds, Toronto, McClelland and Stewart, 1956, p. 36.
  37. 37 Anni Albers, « Handweaving Today : Textile Work at Black Mountain College », Weaver 6, no 1, janvier/février 1941, p. 1.
  38. 38 Albers, « Handweaving Today », p. 1 et p. 5.
  39. 39 « Quaint Notions », cité dans Rossbach, « Mary Atwater », 22. Rossbach remarque que « les tissages d’Anni Albers ne posaient pas de problèmes aux directeurs de musées. Ils avaient confiance en son approche intellectuelle des textiles, son absence de couleurs sensuelles, son contrôle et l’accent qu’elle mettait sur sa grille de tissage. Son travail leur évitait d’avoir à répondre à des critiques “d’amateurisme artistique” ». Ed Rossbach, « In the Bauhaus Mode : Anni Albers », American Craft 43, décembre 1983-janvier 1984, p. 7-11; Ed Rossbach, « Fiber in the Forties », p. 15-19.
  40. 40 Mary Meigs Atwater, « It’s Pretty–But is it Art? », The Weaver 6, no 3, juillet-août 1941, p. 12 et p. 13.
  41. 41 Puisque qu’on préparait les étudiants au monde du travail, les classes de tissage à la main servaient surtout à soutenir les enseignants et les créateurs, puis, après la Première Guerre mondiale, les ergothérapeutes. Mme B. K. Benson (née en 1870 en Islande), qui enseigna le filage et le tissage à Tech en 1939 et en 1943, se vantait « de ne jamais avoir copié un modèle de [sa] vie » : « Makes Clothing From Rabbit Wool », Calgary Herald, 12 mai 1943, p. 8. Récemment engagé à Tech en 1940, J. B. McLellan, diplômé de la Glasgow School of Art (1937) avec une formation en artisanat (il serait le premier à avoir enseigné les « Arts appliqués » à l’École Banff School of Fine Art en 1941), fut catastrophé de découvrir que les métiers à tisser n’y avaient pas été livrés. « Pressé de faire travailler ses étudiants, M. McLellan fabriqua un petit métier à tisser chez lui, ainsi que divers cadres de tissage, sur lesquels il pouvait leur enseigner les principes de base de l’enfilage et de l’utilisation des couleurs ». Il est évident que ses intérêts dépassaient les simples notions utilitaires : « Bien que la préparation d’un métier à tisser soit un processus fastidieux, une fois terminé, il récompense amplement la personne qui l’a effectué, car celle-ci peut obtenir de ce filage des coloris d’un effet beaucoup plus riche, beaucoup plus précis que celui qu’on pourrait avoir en mélangeant des pigments sur une palette ». Margaret L. Steven, « Healing by Handicraft : Classes Reflect Post-War Problems » : Calgary Herald, 18 janvier 1941, p. 23.
  42. 42 Mary Meigs Atwater, Shuttle-Craft Bulletin, juillet 1942, p. 4.
  43. 43 Cameron, Campus in the Clouds, p. 36. Sandin, qui était également membre de la guilde Shuttle-Craft Guild, est mentionnée dans le numéro d’avril 1940 du Bulletin.
  44. 44 Ethel Mairet, Hand Weaving Today—Traditions and Changes, London, Faber & Faber, 1939, citée dans Loom Music 4, no 9, septembre 1947, p. 77. (Les tissages de Mairet furent inclus dans l’exposition d’artisanat britannique moderne.)
  45. 45 Loom Music, 4, no 9, septembre 1947, p. 77.
  46. 46 The Banff School of the Fine Arts, calendrier 1945, p. 17. Note biographique : « James W. G. Macdonald D.A. (Edin.) a obtenu un diplôme en design du Collège de l’art d’Edinburgh en 1922, combiné avec des cours de conception pratique, et a passé trois ans et demi à titre de dessinateur dans une grande usine textile d’Angleterre, à créer des modèles de cretonnes, tentures, damas, tapis et broderies ».
  47. 47 Loom Music, 9, no 2, février 1952, p. 15.
  48. 48 Mary Meigs Atwater, Shuttle-Craft Bulletin, septembre 1939, p. 4. « Pourtant, dans le domaine des matériaux de tissage, le Canada est mieux loti que nous. Bien que les cotons y soient plus chers, leurs magnifiques tissus, laines et fils peignés étaient à des prix tellement inférieurs aux nôtres que j’en étais verte de jalousie ».
  49. 49 Shuttle-Craft Bulletin, septembre 1940, p. 4.
  50. 50 Albers, « Handweaving Today », p. 7.
  51. 51 Dr Jas. Robertson, C.M.G., fondateur de l’association Canadian Seed Growers Assoc., cité dans « Introduction », Hand Loom Weaving. . . The story of the Searle Grain Company’s Effort to Sponsor Hand-Loom Weaving Among the Farm Women of the Prairie Provinces, Winnipeg, Searle Grain Co., 1944.
  52. 52 Janet A. Hoskins, « Weaving Education in Manitoba in the 1940s », mémoire de maîtrise, Université du Manitoba, 1982. En 2017, le Conseil de l’artisanat de la Saskatchewan a demandé à des artisans contemporains de répondre au texte et à l’inventaire de Bériau, ce qui a donné naissance à l’exposition Prairie Woven : From Utilitarian Roots to Contemporary Art à Saskatoon (Saskatchewan).
  53. 53 Les Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie (SNJM) est un ordre de religieuses-enseignantes francophones fondé au Québec.
  54. 54 Les productions étaient généralement d’ordre domestique (écharpes, châles de bébés, rideaux, métrages de tweed, etc.), mais aussi religieux (tapis d’autels). Winnipeg Free Press, 9 mars 1943, p. 8.
  55. 55 Verena Garrioch, « Villagers of St. Agathe Present Display of Weaving », Winnipeg Tribune, 17 novembre 1942, p. 8.
  56. 56 Abbé Maurice Baudoux (Secrétaire de la société Canadienne d’enseignement postscolaire, section française de la Saskatchewan), « Le tissage domestique en Saskatchewan », La Liberté et le patriote, 20 janvier 1943, p. 3.
  57. 57 « Grain Trade Answers C. F. A. Convention Charge », Calgary Herald, 25 février 1947, p. 3.
  58. 58 Searle Grain Company Ltd., Hand-Loom Weaving, Winnipeg, juillet 1944.
  59. 59 Alice McEachern, « Grain Firm Sponsors Weaving Instruction », Winnipeg Tribune, 18 avril 1942, p. 3.
  60. 60 McEachern, « Grain Firm », p. 3.
  61. 61 Fred Kennedy, « Weaving Classes Popular on Farms : Project inaugurated by Searle Grain Co. Ltd. Providing of Great Value to West Farm Women », Calgary Herald, 3 octobre 1944, p. 13.
  62. 62 « Farm Home Weaving Circles Rules and Regulations », Searle Grain (Bureau de la recherche), Winnipeg, 1er février 1943, cité dans Hoskins, « Weaving Education », p. 108.
  63. 63 Kennedy, « Weaving Classes », p. 13.
  64. 64 D. Geneva Lent, « Folk Arts Exhibit Here Next Week », Calgary Herald, 6 octobre 1945, p. 8. Au bout de deux ans de ce programme, la compagnie a confirmé que « 246 métiers à tisser de 45 pouces avaient été achetés et que plus de 10 000 verges de tissu de même largeur avaient été produites par les diplômés » : Hand-Loom Weaving.
  65. 65 H. G. L. Strange, « The World of Wheat Reviewed Weekly », Chronicle, 9 décembre 1943, p. 1.
  66. 66 Rossbach, « Mary Atwater », p. 28.
  67. 67 « Hazel Schwass, Fibre Artist », Personal Artists File, Alberta Visual Arts, septembre 1984; fichier d’artiste (30525) du Musée des beaux-arts du Canada, Textiles, 15 décembre 1987.
  68. 68 Ken Liddell, Calgary Herald, 9 février 1972, p. 5.
  69. 69 « Hazel Gladys Evelyn Schwass », rubrique nécrologique, 12 novembre 2011, Myalternatives, https://www.myalternatives.ca/acme/obituaries/2011-schwass-hazel-gladys-evelyn.
  70. 70 « Hazel Schwass, Fibre Artist », Personal Artists File, Musée des beaux-arts du Canada.
  71. 71 Janice Helland, « Benevolence, Revival and “Fair Trade” : An Historical Perspective », dans Janice Helland, Beverly Lemire et Alena Buis (dir.), Craft, Community and the Material Culture of Place and Politics 19th–20th Century, Farnham, UK, Ashgate, 2014, p. 137.
  72. 72 Les productions de la première moitié du siècle dans les Prairies ont généralement fait l’objet d’une classification négative – utilitaire, traditionnelle, domestique et genrée – et ont été placées dans la catégorie des pratiques en voie d’extinction intéressant uniquement les antiquaires et les historiens sociaux-culturels.
  73. 73 Je remercie Catherine Roy (retraitée du Musée royal de l’Alberta) pour son aide précieuse et de m’avoir fait remarquer que ces tisseuses modernes intégraient depuis longtemps des herbes des bords de routes à leurs duites. Voir Loom Music 10, no 6, 1953, p. 45.

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